les conventions de forfait-jours sans suivi régulier donnent droit au paiement des heures supplémentaires

I.      Convention de Forfait jours ; le suivi régulier de la charge de travail est obligatoire

 

A.   contexte

 

Nombreux sont les salariés, particulièrement les cadres, qui effectuent des heures supplémentaires.

 

Pour s’affranchir de cette question, beaucoup d’entreprise soumettent leurs salariés à des conventions de forfait en jours et certaines en abusent.

 

Le cabinet Catherine FEVRIER obtient régulièrement devant les Conseils de Prud’hommes de Quimper, Brest et Lorient et devant la Cour d’Appel de Rennes des décisions annulant ou privant d’effet des conventions de forfait.

 

L’enjeu est de taille puisque la nullité d’une convention de forfait peut conduire au paiement des heures supplémentaires, de contreparties obligatoires en repos voire de dommages et intérêts pour travail dissimulé à hauteur de six mois de salaires.

 

B.   Conditions de validité de la convention de forfait en jours

 

Pour être valable une convention de forfait jours doit répondre à de nombreux critères tenant au Code du travail, à la convention collective applicable dans l’entreprise, à l’emploi exercé par le salarié, à son statut, etc.

 

Une analyse au cas par cas doit donc être effectuée.

 

Au-delà, la Cour de Cassation rappelle régulièrement que l’application d’une convention de forfait en jours ne doit pas conduire à mettre en danger la santé des salariés.

 

Ses dispositions doivent donc permettre d’assurer le droit au repos du salarié, que les amplitudes et les temps de travail ne sont pas excessifs, ou encore que l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée est respectée.

 

C.   L’arrêt de la Cour de Cassation du 06/11/2019

 

Une convention de forfait en jours n’est valable que tant qu’elle permet de garantir l’effectivité des principes rappelés ci-dessus.

 

Par son arrêt du 6 novembre 2019, la Cour de Cassation précise que les moyens de contrôle de la durée du travail doivent permettre un suivi effectif et régulier par la hiérarchie afin  de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable.

les principes rappelés par la Cour de Cassation

« Vu l’alinéa 11 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, l’article 151 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne se référant à la Charte sociale européenne et à la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs, l’article L. 3121-45 du code du travail dans sa rédaction alors applicable, interprété à la lumière de l’article 17, §§ 1 et 4, de la directive 93/104/CE du Conseil du 23 novembre 1993, des articles 17, § 1, et 19 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 et de l’article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ;

 

Attendu, d’abord, que le droit à la santé et au repos est au nombre des exigences constitutionnelles ;

 

Attendu, ensuite, qu’il résulte des articles susvisés des directives de l’Union européenne que les Etats membres ne peuvent déroger aux dispositions relatives à la durée du temps de travail que dans le respect des principes généraux de la protection de la sécurité et de la santé du travailleur ;


Attendu, enfin, que toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect de durées raisonnables de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires ;

Les faits examinés par la Cour de Cassation


Attendu que pour débouter le salarié de ses demandes de rappel de salaires au titre des heures supplémentaires, congés payés afférents et indemnité pour travail dissimulé, l’arrêt retient que, sans remettre en cause les dispositions de la convention collective applicable prévoyant une rémunération forfaitaire pour les cadres dits « autonomes » prévoyant un nombre de jours travaillés de deux cent sept jours auxquels, nécessairement vient s’ajouter la journée de solidarité, le salarié soutient que les dispositions de son contrat de travail étaient irrégulières en ce qu’elles ne mentionnaient ni les modalités de décompte des journées ou demi-journées travaillées, en ce que le nombre de jours annuels était fixé à deux cent huit alors que la convention collective les limite à deux cent sept et en ce qu’aucun entretien individuel n’était mis en place pour l’exécution de la convention de forfait, que toutefois, d’une part, la stipulation du contrat de travail fixant à deux cent huit le nombre annuel de jours de travail n’est pas irrégulière au regard de la convention collective dès lors que doit être prise en compte la journée de solidarité, que d’autre part, s’il est vrai que, aux termes de l’article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail effectuées, l’employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, dans les circonstances spécifiques de l’espèce, l’association est fondée à soutenir que, alors que le salarié en qualité de directeur salarié, avait la charge de s’assurer du respect par l’association de la réglementation sociale, notamment en ce qu’elle vise la durée du travail et son aménagement, la contestation par celui-ci du respect des règles dont il avait la charge, est faite de mauvaise foi ;

La décision proprement dite

Qu’en statuant ainsi, alors que l’article 9 de la convention collective nationale des organismes gestionnaires de foyers et services pour jeunes travailleurs du 16 juillet 2003 prévoit que, pour les directeurs, l’organisation du travail peut retenir le forfait en jours dans la limite de deux cent sept jours par an, que l’avenant n° 2 du 21 octobre 2004 à cette convention collective, relatif à l’aménagement du temps de travail des cadres, se limite à prévoir, en son article 2, que dans l’année de conclusion de la convention de forfait, la hiérarchie devra examiner avec le cadre concerné sa charge de travail et les éventuelles modifications à y apporter, que cet entretien fera l’objet d’un compte rendu visé par le cadre et son supérieur hiérarchique, que les années suivantes, l’amplitude de la journée d’activité et la charge de travail du cadre seront examinées lors de l’entretien professionnel annuel, en son article 3 que les jours travaillés et les jours de repos feront l’objet d’un décompte mensuel établi par le cadre et visé par son supérieur hiérarchique qui devra être conservé par l’employeur pendant une durée de 5 ans, que ces dispositions, en ce qu’elles ne prévoient pas de suivi effectif et régulier par la hiérarchie des états récapitulatifs de temps travaillé transmis, permettant à l’employeur de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable, ne sont pas de nature à garantir que l’amplitude et la charge de travail restent raisonnables et à assurer une bonne répartition, dans le temps, du travail de l’intéressé, ce dont il se déduisait que la convention de forfait en jours était nulle, la cour d’appel a violé les textes susvisés ; »

Cass. Soc. 06/11/2019 n°18-19752

 

D.   conséquences : la possibilité de réclamer le paiement des heures supplémentaires

 

Dès lors que la convention de forfait est jugée nulle par un Conseil de Prud’hommes ou par la Cour d’Appel, seul le droit commun, c’est à dire les dispositions du Code du travail, demeure applicable.

 

Les heures supplémentaires doivent donc être décomptées semaines après semaines.

 

Une fois réglée la question de la charge de la preuve, le salarié peut prétendre au paiement des heures supplémentaires effectuées et des majorations correspondantes.